41e Estivales Photographiques – « Nos Pères »


Nos Pères
La thématique des 41e Estivales place la figure paternelle au centre des questionnements photographiques. Nos pères : le possessif induit que le point de vue est collectif et tourné vers les générations précédentes. Car pour qu’il y ait un père, il faut qu’il y ait nécessairement un enfant, et donc un regard porté sur lui. Le regard des sept auteurs invités est sans équivoque, qui tous ou presque intitulent leur série « Père ». Sans fioriture, sans adjectif, comme un constat, cependant empreint d’interrogations. Quels ont été nos pères ? Comment ont-ils été ?

Et qu’est-ce qu’un père ? Victor Hugo dans La Légende des siècles le décrit ainsi : Le père c’est le toit béni, l’abri prospère, / Une lumière d’astre à travers les cyprès, / C’est l’honneur, c’est l’orgueil, c’est Dieu qu’on sent tout près. Cette figure de la toute puissance, c’est celle du pater familias, archétype hérité de la Rome antique et fondement de nos sociétés patriarcales. Dans cette conception traditionnelle, le père se définit dans un rôle social déterminé : il est le chef, ayant droit de vie ou de mort sur les siens. Il est celui qui doit subvenir aux besoins de la famille et transmettre les valeurs morales. La remise en cause de cette figure d’autorité, qui s’inscrit dans une re-interrogation sociétale des concepts de masculinité et de parentalité, redéfinit ainsi le(s) rôle(s) du père. En se tournant vers cette figure, les auteurs interrogent également les notions d’héritage, de modèle, d’engagement, de lien. La programmation propose un parcours en trois temps, qui s’articule du collectif à l’intime, de l’histoire sociétale aux fictions individuelles.

Les œuvres présentées en salle 1 proposent un regard collectif sur plusieurs générations de pères. Anne Delrez, directrice artistique de La Conserverie, s’est ainsi plongée dans sa collection d’albums de famille amateurs pour en extraire un ensemble d’images vernaculaires qui dessinent une figure paternelle en représentation. Quand il est photographié en tant que père, c’est-à-dire dans le même cadre que ses enfants, il semble jouer un rôle, montrant une nouvelle fois à quel point la photographie participe à la construction médiatique d’un archétype. S’inscrivant pleinement dans notre époque contemporaine, Grégoire Korganow réalise le portrait de pères et de fils qui perturbe nos repères : le père n’est plus une entité impalpable. Il s’incarne, avec toute la réalité de sa corporalité, dans toute sa matérialité. Le photographe dévoile une intimité troublante et réinvente une iconographie de la paternité dans laquelle la transmission est aussi physique : un échange, un contact peau à peau primitif.

En salle 2, c’est la figure du père en tant que présence tutélaire qui est interrogée par les deux auteurs. Taysir Batniji a photographié à Gaza les établissements dans lesquels sont accrochés les portraits photographiques des pères fondateurs, « maitres des lieux », qui s’inscrivent commes des fantômes dans l’image. Pere Formiguera a réalisé un portrait de son propre père chaque mois pendant dix ans. Pare semble pourtant inaltérable face au passage du temps: il demeure, mythifié dans son dépouillement (frontalité, franchise viscérales). Étrangement, et alors même que le projet respectif des auteurs est d’observer leur disparition, les pères y affirment fortement leur présence, une présence très ancrée, à la fois bienveillante et autoritaire. Pères-monuments majestueux, en gloire et glorifiés, mais aussi déjà en déclin.

L’effacement de la figure du pater familias à l’œuvre chez Batniji et Formiguera se poursuit avec le dernier corpus d’auteurs, qui se déploie en salle 3 de L’Imagerie et à la Chapelle Saint-Samson. Avec Frédérique Aguillon, Quentin Yvelin et Colette Pourroy, qui se confrontent à leurs origines en interrogeant leur propre père, ce sont les énigmes des histoires personnelles qui se dessinent, et leurs filiations mystérieuses.

À la multiplicité identitaire qui émerge dans la figure paternelle observée par Frédérique Aguillon, père élucubrateur insaisissable qui semble revêtir autant de costumes que de vies rêvées, répond le père en quête, habité, bâtisseur de Quentin Yvelin, en fusion tant avec les éléments qu’avec la matière brute et granuleuse de l’image. Le plus souvent de dos, le corps morcelé ou les yeux fermés, ces pères sont au centre et pourtant ils s’échappent. Entre présence et absence, la figure paternelle apparaît cette fois troublée – elle n’est plus en majesté. Elle finit par se dissoudre, se liquéfier chez Colette Pourroy, qui l’évoque en creux, en ombres et reflets, vaporeux, en présences fantômatiques et mouvantes. Et si là aussi le père existe, c’est au gré des fictions de l’enfant qui le regarde ou le fantasme, et par là-même l’invente.

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